Concerne: Plan d’aménagement général de la Ville d’Esch-sur-Alzette
Monsieur le Bourgmestre,
Madame, Monsieur les Échevins,
Madame, Monsieur les Conseillers communaux,
La cohabitation est, pour certains gens de notre génération un mode de vie qu’ils choisissent par simple courtoisie ou plaisir, pour d’autres la mutualisation des coûts de logement est l’unique moyen permettant de se financer encore la vie dans une petite maisonnette avec jardin.
Dans un article paru dans le Luxemburger Wort[1] cette réalité est devenue apparente. Reprenant l’exemple de cet article : cinq personnes vivent ensemble au sein d’une maison unifamiliale à Esch-sur-Alzette et paient un loyer mensuel de 2.800 € en total, donc 560 € par personne par mois. Dans le même article on peut lire que pour un seul petit studio chacun d’entre eux a dû dépenser à lui seul 1.300 € par mois !
La cohabitation est donc un moyen pour lutter en tant qu’individu contre la crise du logement, une crise qui devienne de plus en plus insupportable dans notre pays et qui nécessite du courage politique afin d’apporter des solutions efficientes et durables.
Un plan d’aménagement général, c’est quoi ?
Jetons tout d’abord un coup d’œil dans la législation afin de pouvoir comprendre la notion étrange du plan d’aménagement général d’une commune.
Un plan d’aménagement général « se compose d’une partie écrite et d’une partie graphique qui se complètent mutuellement »[2] et toujours selon la loi applicable en la matière il s’agit d’« un ensemble de prescriptions graphiques et écrites à caractère réglementaire qui se complètent réciproquement et qui couvrent l’ensemble du territoire communal qu’elles divisent en diverses zones dont elles arrêtent l’utilisation du sol »[3].
À côté de ce plan d’aménagement général il existe encore les plans d’aménagement particulier « nouveau quartier » et « quartier existant » qui « ont pour objet de préciser et d’exécuter le plan d’aménagement général »[4].
Le plan d’aménagement particulier « quartier existant » deviendra particulièrement intéressant par la suite, ainsi il faut bien retenir que le contenu de ce plan d’aménagement particulier « quartier existant » est la fixation des « prescriptions urbanistiques servant à garantir l’intégration des constructions et aménagements dans les zones urbanisées »[5]. Cette définition a été précisé par le Règlement grand-ducal du 8 mars 2017 qui a retenu qu’un plan d’aménagement particulier « quartier existant » doit « préciser le mode et définir le degré d’utilisation du sol en tenant compte des caractéristiques essentielles du tissu urbain existant du quartier »[6] – ni plus, ni moins.
Le plan d’aménagement général d’une commune et les plans d’aménagement particulier parcourent un ping-pong administratifintéressant. Tout d’abord ils doivent être votés au sein du conseil communal et sont applicables dès ce premier vote. Par après différentes instances auprès du Ministère de l’Intérieur doivent donner leurs avis et il a lieu un second vote au sein du conseil communal.
À la fin ce ping-pong administratif sera clôturé par la Ministre de l’Intérieur qui décide de l’approbation définitive du plan d’aménagement en vérifiant s’il est conforme et compatible aux dispositions de la loi.[7]
Le plan d’aménagement général d’Esch-sur-Alzette
Le 8 mars 2019 le conseil communal de la Ville d’Esch-sur-Alzette a voté un nouveau plan d’aménagement général (ci-après le « PAG »).
Les conséquences directes de ce vote se sont fait sentir de suite et la liberté des personnes a été considérablement réduite !
Dans l’Annexe II de la partie écrite de ce PAG les responsables politiques de la Ville d’Esch-sur-Alzette définissent les différentes formes d’habitation encore admises sur le terrain de la commune.
Selon ce catalogue de définitions une maison unifamiliale peut être « affectée au logement d’une seule communauté domestique à des fins exclusive d’habitation »[8]. Une communauté domestique est définie comme « une personne seule ou un ensemble de personnes unies par un lien de parenté ou d’alliance (…), ainsi que des partenaires avec lien affectif et qui vivent dans le cadre d’un foyer commun, dont il faut admettre qu’elles disposent d’un budget commun »[9].
Il est donc clair que selon ces deux définitions pour pouvoir vivre à Esch-sur-Alzette à plusieurs personnes dans une maison unifamiliale, il faut soit déjà avoir un lien familial, soit entretenir un lien affectif avec un ou plusieus cohabitants afin de créer un tel.
Depuis mars 2019 ce PAG est applicable sur le territoire de la commune d’Esch-sur-Alzette.[10]
Le 7 octobre 2019, la commission d’aménagement du Ministère de l’Intérieur rend les responsables de la ville d’Esch-sur-Alzette attentifs que les dispositions mentionnées dans l’Annexe II sont illégales, en écrivant notamment : « le champ d’application d’un PAG se limite à la détermination du mode et degré d’utilisation du sol et définit dans ce contexte le nombre d’unités de logement autorisables sans pouvoir fixer la qualité et la quantité des futurs habitants ou usagers. »[11]
Depuis d’au moins octobre 2019, les responsables politiques de la ville d’Esch-sur-Alzette disposent de cet avis et n’ont visiblement pas eu l’intention de s’y conformer le plus vite possible.
Bien au contraire, les responsable politiques ne font rien du tout.
Le PAG du 8 mars 2019 et son Annexe II restent applicables.
De plus en plus de personnes vivant ou désirant vivre en communauté domestique n’ayant ni un lien familial ni l’intention d’en créer un, se voient refuser l’inscription au registre de la population et sont dégradés à des citoyens sans aucun droit social – on fait d’eux des apatrides de cette belle ville.
Pendant l’été un certain nombre de personnes commencent à mettre de la pression sur les décideurs politiques afin qu’on reforme ce PAG et qu’on le rend compatible avec la législation en la matière.
Une discussion sur le PAG a été prévue pour la séance du Conseil communal du 3 juillet 2020, elle a été reportée avec l’accord de toutes les fractions à une date indéterminée en automne 2020!
Le Bourgmestre a déclaré de vouloir obtenir l’unanimité du Conseil communal sur le nouveau texte qu’il proposerait.
Nouveau essai, nouveau désastre
Ce Vendredi, le 5 Février 2021, le conseil communal peut enfin prendre un deuxième vote sur le PAG. La majorité politique au sein du conseil communal a apporté certaines médiocres modifications à leur premier essai insuffisant.
Selon le nouveau catalogue de définitions proposé par ce PAG une maison unifamiliale peut toujours encore être « affectée au logement d’une seule communauté domestique à des fins exclusive d’habitation »[12]. Une communauté domestique est maintenant définie comme « une personne seule ou un ensemble de personnes qui vivent dans le cadre d’un foyer commun, dont il faut admettre qu’elles disposent d’un budget commun ou une personne seule ou un ensemble de personnes unies par un lien de parenté ou d’alliance, comprenant la famille jusqu’au lien de parenté du 4ième degré inclus »[13].
Même si cette nouvelle définition dans le PAG s’avère à première vue moins restrictive que celle de 2019.
Or, il faut admettre que ces dispositions sont floues, imprécises et risquent de varier à la tête du client. Même un refus d’une cohabitation de plusieurs étudiants dans une maison unifamiliale semble fortement probable. En outre, les modifications ne tiennent pas du tout compte du cadre légal dans lequel le contenu d’un PAG doit être établi.
Or, le diable se cache dans les détails.
Dans le plan d’aménagement particulier « quartier existant » (ci-après « PAP Qe ») nous devrons lire : « La modification de l’affectation des maisons unifamiliales (…) est interdite. Cette interdiction reste applicable pour le terrain après la démolition totale de la bâtisse. La mise à disposition de chambres pour l’accueil de personnes est admise dans les maisons unifamiliales si le propriétaire ou le locataire principal y habite également. Le nombre de personnes est limité à 1 par tranche de 50 m2 de surface habitable de la maison concernée (…). »[14]
Cette définition floue et imprécise met un terme à toute « WG » dans une maison unifamiliale située dans un quartier existant, en rendant une telle de facto impossible ! Quelle triste réalité dans l’unique ville estudiantine du Grand-Duché du Luxembourg.
Dans leur réponse à une question parlementaire Madame la Ministre de l’Intérieur et Monsieur le Ministre du Logement ont précisé que le contenu du PAG doit « se limiter à des prescriptions qui ont trait au dimensionnement des constructions et des aménagements ainsi qu’à leur affectation. Les modalités d’occupation d’un immeuble d’habitation ne sont ainsi pas du ressort de ces instruments juridiques. Admettre le contraire reviendrait dès lors à purement et simplement dénaturer les PAG. »[15]
En outre, les Ministres continuent en précisant que « le terme de « maison unifamiliale » décrit en matière d’aménagement communal et de développement urbain une typologie de construction, mais ne se réfère ni à l’utilisation qu’en fait le propriétaire ou un locataire, colocataire ou sous-locataire, ni aux liens qui existent ou non entre les occupants. »[16]
Il faut souligner que le jugement du 8 janvier 2018 du Tribunal administratif a précisé que la colocation est compatible avec le statut de maison unifamiliale sans que ce mode d’habitation ne change la nature de l’immeuble.[17]
En outre, il convient encore de relever que les autorités communales ne peuvent porter atteintes aux droits de propriété d’une façon illimitée mais elles ne peuvent en régler l’usage que sur les points que le législateur leur a attribué́.[18]
Il est donc tout à fait impossible que les restrictions au droit de propriété qu’implique de nouveau ce PAG d’Esch-sur-Alzette pourraient être adoptées par le conseil communal par le biais d’un PAG !
Avant d’entrer en fonctions, les membres de chaque conseil communal prêtent le serment suivant :
« Je jure fidélité au Grand-Duc, d’observer la Constitution et les lois du pays, et de remplir avec zèle, exactitude, intégrité et impartialité les fonctions qui me sont confiées. »
En se rappelant ledit serment, chaque membre du conseil communal de la ville d’Esch-sur-Alzette devrait savoir comment voter ce vendredi.
Profond respect !
Max LENERS et Claude ROELTGEN
[1] Luxemburger Wort du 1er juillet 2020, page 27.
[2] Article 9 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.
[3] Article 5 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.
[4] Article 26 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.
[5] Article 29 (1) de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.
[6] Article 1er Règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier « quartier existant » et du plan d’aménagement particulier « nouveau quartier ».
[7] Article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.
[8] Plan d’aménagement général partie écrite, voté le 8 mars 2019, page 40.
[9] Plan d’aménagement général partie écrite, voté le 8 mars 2019, page 41.
[10] Article 19 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain tel que modifiée : « Le plan d’aménagement général, qui revêt un caractère réglementaire, devient obligatoire trois jours après sa publication par voie d’affiches dans la commune ».
[11] Avis du 7 octobre 2019 de la Commission d’aménagement, page 30.
[12] Plan d’aménagement général partie écrite, version vote 5 février 2021, page 42.
[13] Plan d’aménagement général partie écrite, version vote 5 février 2021, page 43.
[14] Article 34.1. PAPQe, Version Vote 5 Février 2021, page 46.
[15] Réponse commune de Madame la Ministre de Tlntérieur, Taina Bofferding, et de Monsieur le Ministre du Logement, Henri Kox, à la question parlementaire n°2410 des honorables Députés Mars Di Bartolomeo et Yves Cruchten au sujet de la cohabitation.
[16] Idem.
[17] Tribunal administratif 8 janvier 2018, n°38557 du rôle.
[18] Tribunal administratif 26 janvier 1999, n° 10662 du rôle.