Après les révélations Luxleaks et le tapage médiatique autour d’OpenLux, le Luxembourg ferait bien d’accélérer ses efforts vers une place financière transparente et écologique. En tant que deuxième centre de fonds d’investissement au monde, avec plus de 5 billions EUR d’actifs nets sous gestion[1], une réorientation de ces flux financiers vers des investissements durables s’imposerait et ferait, en passant, du Luxembourg le financier de la transition écologique – quel bel avenir pour eis Finanzplaz.
Même si le Luxembourg se plaît de mettre en avant son rôle en tant que « pionnier international de la finance verte et durable »[2], un état des lieux dressé par Greenpeace Luxembourg[3] montre que la réalité est bien différente. L’analyse des investissements des 100 plus grands fonds luxembourgeois a révélé que leur stratégie d’investissement correspond en moyenne à un scénario de + 4 °C d’ici 2050, un fond sur trois n’étant même pas conforme avec un scénario de +6 °C d’ici 2050 ! En d’autres mots, ces fonds poursuivent une stratégie qui est plus en ligne avec l’écocide qu’avec l’objectif de l’Accord de Paris [4].
Or, ces investissements ne sont pas uniquement un désastre environnemental, mais risquent de devenir aussi un désastre économique. Les entreprises dans lesquelles ces fonds détiennent des participations auront épuisé en moyenne leur budget carbone d’ici 2027, c’est-à-dire que la quantité d’émissions dont ils disposent dans un scénario de < 2 °C d’ici 2050 sera dépensée au cours des sept prochaines années[5] !
Ces actifs font partie des 6 à 20 billions USD d’actifs à l’échelle globale[6] qui risqueront de devenir des « stranded assets » – des actifs dont la valeur figurant au bilan se volatilisera à cause de la transition énergétique. Qu’une quantité non-négligeable de cette gnognote se trouve dans les portefeuilles des fonds d’investissement luxembourgeois risque d’avoir des répercussions économiques, tant sur la future rentabilité de ces fonds que sur les futurs budgets de l’État luxembourgeois.
Ainsi, le gouvernement luxembourgeois essaie via de nouvelles réductions d’impôts à inciter les fonds luxembourgeois à investir davantage dans des activités économiques durables afin que la force de frappe financière de ces fonds contribue à la transition écologique et à la lutte contre les changements climatiques. Concrètement, la loi budgétaire 2021[7] réduit le taux de la taxe d’abonnement pour les Organismes de Placement Collectif (« OPC ») qui investissent dans des activités durables[8]. Ceux qui investissent au moins 5 % de leurs avoirs nets dans des activités dites durables, bénéficient d’un taux réduit de 0,04% (au lieu du taux « normal » de 0,05 %[9]). Si les investissements durables dépassent le seuil de 20 %, 35 % ou même 50 %, ce taux se réduit à respectivement 0,03 %, 0,02 % et 0,01 %. Néanmoins, ces taux allégés sont limités à la quote-part des investissement durables.
Or, en dépit de ces allégements fiscaux, la programmation budgétaire estime que les recettes fiscales au titre de la taxe d’abonnement augmenteront d’1,03 milliard d’euros en 2019 à 1,28 milliard d’euros en 2024[10]. Une estimation qui étonne vu qu’elle ignore complètement les « stranded assets » et néglige le fait qu’en 2019 presque la moitié des actifs sous gestion des fonds d’investissement luxembourgeois étaient soumis au taux normal de 0,05 %, 34 % au taux réduit de 0,01 % et 18 % étaient exemptés[11].
En gardant à l’esprit ces chiffres et les estimations pluriannuelles, on ne peut que s’interroger de l’attente du gouvernement quant à l’impact de ses propres mesures. En effet, si la réduction de la taxe d’abonnement pour les activités durables devenait le succès escompté, on observerait dans les prochaines années une réorientation massive de la politique d’investissement des fonds vers des actifs durables à des taux d’imposition plus faibles ce qui provoquerait une baisse des recettes pour le budget de l’État[12].
Les choix fiscaux d’aujourd’hui étant les budgets de demain, l’approche du législateur de choisir la voie du « moins-disant fiscal » afin de stimuler les investissements durables me semble inappropriée. De surcroît si l’on considère que les moins-perçus provoqués par cette mesure impacteront les ressources de l’État à un moment où les moyens publics qui seront alloués au financement de la transition écolo-économique vont devoir augmenter massivement. À mon avis, une taxe CO2 pour les fonds d’investissement applicable aux actifs investis dans des activités polluantes et néfastes pour l’environnement devrait aller de pair avec toute mesure d’incitation par la baisse de la charge fiscale.
Mais étant donné que le gouvernement lui-même semble avoir des doutes quant à l’impact de sa propre mesure – « ces seuils de pourcentage feront l’objet d’une évaluation dans les années à venir afin de vérifier que l’effet d’incitation de la mesure est effectivement atteint »[13] – soyons curieux de lire cette évaluation … et de l’action qui en suivra.
[1]CSSF, Situation globale des organismes de placement collectif à la fin du mois de janvier 2021, Communiqué de presse 21/06.
[2] Commentaire de la loi budgétaire 2021 (par article), p. 129.
[3] Greenpeace Luxembourg, « Investing in Climat Change : A Climate-Related Analysis of the 100 Largest Investment Funds in Luxembourg », Janvier 2021.
[4] Article 2.1.a) Accord de Paris : « Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques. »
[5] Greenpeace Luxembourg, « Investing in Climat Change : A Climate-Related Analysis of the 100 Largest Investment Funds in Luxembourg », Janvier 2021. p.2.
[6] Ernst Ulrich von Weiszäcker et Anders Wijkman, « Wir sind dran. Was wir ändern müssen, wenn wir bleiben wollen », Club of Rome, 2017, p. 228.
[7] Article 9 de la loi du 19 décembre 2020 concernant le budget des recettes et dépenses de l’État pour l’exercice 2021.
[8] Activités telles que définies à l’article 3 du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.
[9] Cependant, certains types d’OPC bénéficient d’un taux réduit de 0,01% (p.ex. ceux dont l’objet exclusif est le placement collectif en instruments du marché monétaire) et d’autres sont mêmes complètements exonérés (p.ex. ceux investissant dans la microfinance).
[10] Avis de la Banque centrale p.74.
[11] Avis de la Banque centrale p.77.
[12] Selon l’hypothèse retenu dans le budget 2021 : l’indice boursier Eurostoxx augmenterait de 2,7 % en moyenne chaque année au cours de la période 2022-2024.
[13] Commentaire de la loi budgétaire (par article), p. 129.