Extrait du Livre de la Fondation Robert Krieps:
“La crise du logement au Luxembourg et les moyens d’en sortir“;
publié en Spetembre 2022
Conclusion – Catalogue de 60 mesures pour s’en sortir :[1]
Max LENERS
En suivant la presse et les récentes publications en la matière, on constate un débat qui fait preuve d’une certaine richesse d’idées. Afin d’aider à structurer le débat et au vu des multitudes de mesures proposées de part et d’autre, nous avons pensé qu’il serait utile d’avoir une liste regroupant les idées :
Allègement administratif :
- Alléger et simplifier les procédures (p.ex. Plan d’aménagement général (« PAG »), Plan d’aménagement particulier (« PAP »), Procès pour recevoir une autorisation de bâtir etc.) pour pouvoir bâtir plus rapidement ;
- Assouplir la réglementation pour favoriser la créativité et l’expérimentation architecturale dans les projets de logement ;
- Autoriser davantage de constructions de logements plus petits (30 à 50 m2), mais parfaitement dessinés et conçus dans leur aménagement intérieur, pour convenir surtout aux jeunes ménages (1 ou 2 personnes) et ainsi répondre à une demande tangible tout en assurant la mixité sociale ;
- Construire plus haut pour permettre de développer plus de logements abordables sur l’ensemble du volume développé ;
- Créer un service public efficace, rapide et digital qui assurerait le rôle actuellement exercé par les notaires dans le cadre des opérations immobilières ou au moins réformer les « frais de notaire » ;
- Crise écologique oblige ! – Adapter les plans d’aménagements de toutes les communes (PAG et PAP) à cet enjeu sociétal. Ceci surtout, afin d’éviter que des places publiques bétonnées avec uniquement quelques arbres (p.ex. la Place de Paris ou le Boulevard de Kyiv en Luxembourg-Ville) seront encore planifiés de nos jours. Tout au contraire, il faudrait par le biais des PAG et PAP tout mettre en place pour rendre nos villes et villages plus verts en y prévoyant plus d’arbres, des petits et grands espaces verts, des toitures et façades végétalisés … et ceci notamment pour promouvoir notre qualité de vie ;
- Densifier les zones urbaines, là où cela fait du sens, de manière sélective et concertée, c’est-à-dire dans les nouveaux quartiers, à proximité des infrastructures de transports, d’éducation, sportives, de loisirs … ;
- Inciter à la mise en place de fonds d’investissement privés spécialisés dans le financement de logements abordables locatifs, de qualité et durables ;
- Inverser la charge de la preuve : selon cette mesure, il incomberait aux administrations de prouver au propriétaire du terrain pourquoi il ne pourrait pas construire sur son terrain. Cette preuve devrait être rapportée dans un délai de six semaines, faute de quoi la construction sur le terrain constructible pourrait irréversiblement débuter ;
- Mettre en place un plan Marshall des infrastructures qui viserait de mettre à niveau les réseaux et les infrastructures publiques pour accompagner le développement urbanistique de façon homogène et soutenir les communes dans l’effort de création de logements ;
- Organiser des partenariats public-privé pour la construction de logements abordables en définissant des cahiers de charge précis et des procédures claires, avec un objectif de résultat fixé dans la durée ;
- Organiser des rencontres régulières entre le Ministère du Logement et les promoteurs privés pour élaborer des projets où les privés peuvent construire du logement abordable sur des terrains publics et afin de pouvoir réagir le plus vite possible au niveau de la législation à des nouveaux développements;
- Prévoir l’aménagement de nouveaux « Deponi » à l’intérieur de nos frontières, en parallèle il faudrait aussi inciter à construire en limitant l’excavation ;
- Promouvoir les Coopératives d’habitation en tant que 3ème voie entre propriété et location. Ces Coopératives investiraient du capital privé dans des projets communautaires et viseraient de créer des espaces de vie sans considérations spéculatives en impliquant leurs membres dans un processus participatif de planification du futur immeuble ;
- Renforcer les équipes des administrations en charge des dossiers de la construction pour débloquer la situation et la fluidifier ;
- Réviser et analyser en profondeur le circuit des autorisations ;
- Simplifier le PAG et le règlement des bâtisses pour faciliter le développement de projets résidentiels et pour rendre ce cadre législatif plus compréhensible au grand public ;
- Soutenir des nouvelles formes d’habitation (p.ex. Cohabitation, Tiny Houses…) ;
- Utiliser les plans d’occupation du sol dans les communes stratégiques du pays, qui sont bien connectés aux infrastructures de transports publiques, afin d’y augmenter la densité et la hauteur dans les nouveaux et anciens quartiers en surmontant les blocages de la politique locale ;
- Veiller à un bon équilibre dans les PAG entre le Coefficient d’Utilisation du Sol (CUS – le nombre de mètres carrés construits) et la Densité de Logement (DL – nombre de logements par hectares) pour éviter de n’avoir que de grands logements qui puissent être nouvellement construits ;
- Voter une loi anti-crise du logement, qui regrouperait les réglementations relatives au logement de façon pragmatique, afin d’accélérer la construction de logements.
Digitalisation :
- Créer un service public à bas prix, efficace, rapide et digital qui assurerait le rôle actuellement exercé par les notaires dans le cadre des opérations immobilières ;
- Créer un guichet unique qui centraliserait l’introduction et le suivi des dossiers auprès des différentes administrations dans le cadre des demandes relatives aux autorisations de construction ;
- Digitaliser à 100 % les procédures pour fluidifier le traitement des dossiers et leur cheminement ;
- Mettre en place l’automaticité du versement de la subvention loyer aux ménages éligibles, ceci aiderait notamment les « Working poor » dont le revenu est profondément impacté par les dépenses liées au logement ;
- Mettre en place un monitoring digital des logements en cours ou à venir à l’échelle nationale, sur base des données publiques et privées.
Terrains :
- Acquisition par la main publique des terrains en bordure des périmètres constructibles et y édifier immédiatement des logements ;
- Augmenter les périmètres ponctuellement à condition que l’empreinte écologique serait réduite au maximum et en apportant une attention particulière au raccordement des transports en commun (surtout au réseau ferroviaire), à la construction de quartiers écologiques et au rapport densité/espaces verts etc. ;
- Construire sur les terrains du Fonds Kirchberg qui ont déjà leur PAP et qui pourraient être développés rapidement ;
- Donner une impulsion politique pour que l’exploitation des terrains appartenant à la main publique soit considérée comme une priorité absolue ;
- Poser un objectif national restrictif de consommation de sol pour passer d’environ 0,5 ha/jour en 2020, à 0,25 ha/jour en 2035 et à 0 ha/jour en 2050 ;
- Se servir du programme « Raum+ » pour identifier les terrains avec le plus fort potentiel en m2 constructibles afin de les activer en priorité.
Fiscalité :
- Augmenter la garantie de l’État pour les crédits immobiliers actuellement limité à 169.263,75 €, correspondant en 2022 à l’indice moyen annuel de 902,74 de l’indice des prix de la construction, pour passer à 500.000 € ;
- Augmenter le « Bëllegen Akt » afin de tenir compte du fait que la valeur réelle par rapport aux prix immobiliers de ce crédit d’impôt a diminué de plus de 50 % depuis son introduction en 2002 ;
- Augmenter le montant total de la faveur fiscale résultant de l’application du taux TVA super-réduit de 3 %, actuellement limité à 50.000 € par logement créé et/ou rénové, en passant à 100.000 € ;
- Exempter les acquéreurs-occupants intégralement des droits d’enregistrement (6 %) et de transcription (1 %) sur le bien immobilier affecté à des fins d’habitation principale ;
- Imposer sur une base annuelle les plus-values latentes immobilière dans les cas où l’immeuble serait inoccupé et le propriétaire ne prendrait aucune initiative ni pour rénover, ni pour louer, ni pour vendre l‘immeuble en question ;
- Taxer les terrains constructibles à des fins d’habitation (impôt foncier catégorie B 6), sur lesquels aucun projet est en cours et ceci avec un taux annuel de 7 à 10 % de leur valeur marchande de l’année fiscale en question ;
- Ne pas pénaliser au niveau fiscal les propriétaires qui sont bloqués dans les procédures. Veiller à ne taxer que des terrains sur lesquels aucun projet n’est enclenché. Pour les terrains où une demande d’autorisation de bâtir a été déposée, il faudrait accorder un temps maximal de 3 ans au-delà duquel un impôt se déclencherait ;
- Prévoir une exemption unique si on met son terrain à disposition d’un promoteur public ou si des structures modulables avec contrat de bail y sont installées.
« Dé-financiarisation » du logement :
- Biffer sans remplacement l’amortissement accéléré pour investissement dans le logement, actuellement fixé à un taux d’amortissement de 4 % pendant 5 ans, en accordant la nécessaire prévisibilité aux personnes concernées par un annoncement précoce ;
- Calmer l’investissement spéculatif étranger par l’introduction d’une Lex Koller, en interdisant l’achat immobilier aux étrangers (non-EU) qui ne vivent pas et ne viennent pas vivre effectivement au Luxembourg. Cependant la possibilité d’investissement étranger peut être laissée ouverte dans le domaine du logement social/abordable (si un besoin de financement s’y présenterait) ;
- Imposer la construction de logements pour chaque nouveau projet d’immeuble de bureaux ;
- Imposer les plus-values immobilières au taux global, afin de mettre l’imposition de ce type d’actif en ligne avec l’imposition des revenus du travail ;
- Organiser un « Logementsdësch »: une réunion sous forme d’états généraux pour rassembler les pouvoirs publics (Ministères et Communes) et les parties prenantes privées (Constructeurs, Promoteurs, Architectes …), afin de mettre en place un paquet de mesures d’urgences. Chaque participant devrait publiquement déclarer son patrimoine immobilier, afin d’instaurer une transparence au niveau des intérêts en cause ;
- Réformer le Mietgesetz : une commission nationale devrait être mise en place qui rassemblerait sous la direction du Ministre du Logement différents experts (Promoteurs, Constructeurs Banquiers, Syndicalistes, Fonctionnaires, Chercheurs …). Ceux-ci seraient chargés avec la mission d’évaluer à quel niveau se situerait le rendement d’un bien immobilier mise en location, qui serait équitable non seulement pour le seul propriétaire du bien, mais à l’échelle de l’ensemble de la société. Sur base de ces évaluations un nouveau loyer maximal, actuellement fixé à 5 % du capital investit, serait établi. Tous les participants impliqués dans ce processus devraient publiquement déclarer leur patrimoine immobilier. En attente de cette réforme du Mietgesetz, une adaptation législative devrait mettre les commissions d’agence immobilière à la charge du bailleur ;
- Réformer l’accès à la profession de l’agent immobilier et analyser la question des commissions des agents immobiliers ;
- Renforcer le contrôle des transactions immobilières et accorder des moyens d’enquête efficaces aux autorités luxembourgeoises (p.ex. introduire un « Unexplained Wealth Order ») ;
- Réorienter la politique d’investissement du Fonds de compensation (« FDC ») afin de permettre à ce fonds d’investir dans le logement à coût modéré sur le territoire luxembourgeois. À cette fin des collaborations du FDC soit avec les promoteurs publics, soit avec les communes devraient être mises en place, afin d’assurer un investissement considérable dans des projets de logements locatifs à coût modéré;
- Suppression de la déductibilité intégrale des intérêts des emprunts immobiliers hypothécaire pour un bien mis en location.
Communes :
- Agrandir le support communal aux commerçants locaux en leur proposant une personne ou un service de contact auprès de la commune, qui pourrait les aider à rechercher un local et pourrait servir d’intermédiaire entre locataire et bailleur potentiel;
- Développer les “Smarts cities” pour accompagner la densification ;
- Élaborer un monitoring des immeubles vacants et pénaliser les propriétaires de logements inoccupés par une amende dissuasive ;
- Imaginer de nouveaux quartiers localisés en fonction des transports en commun et revoir le modèle des villes actuelles afin d’éviter de reproduire des cités dortoirs ;
- Institutionnaliser la location abordable en appliquant ce qu’il est prévu dans le Pacte Logement 2.0, à savoir que dans le cadre d’une construction d’immeuble comptant plus de 25 unités dans un Plan d’Aménagement particulier Nouveau Quartier (PAP NQ), 20% de la surface brute construite doit être réservée pour le logement abordable. Un pourcentage de 35 % devrait être imposé dans les communes et quartiers stratégiques bien desservies par les transports publics ;
- Les communes devraient directement entrer en dialogue avec les propriétaires des « Baulücken » pour les inciter à construire sur leurs terrains, tout en leur permettant de conserver une partie de leur patrimoine pour leur descendance ;
- Lutter contre la pratique de « mésaffecter » des immeubles d’habitation à des bureaux et contribuer à réaffecter ces immeubles à leur destination originelle ;
- Mettre en place une nouvelle offre de logements répondant à un besoin d’hébergement à court et moyen terme, à prix abordable, tel que logement modulable implanté sur des terrains non développés, mais viabilisés et accessible en transports en commun ;
- Offrir des lieux d’entrepôt de matériel aux petites entreprises artisanales et ceci à un prix abordable ;
- Recenser les logements vides au-dessus des commerces en centre-ville et taxer ces derniers afin de forcer leur mise sur le marché locatif.
[1] Compilation établie sur base de nombreuses publications et réflexions, dont notamment entre autres : Table ronde « Crise du logement : qui freine ? » organisée par PAPERJAM en date du 13 octobre 2021 avec la participation de Sara Noel Costa de Araujo (architecte-gérante du studio SNCDA), Olivier Bastin (CEO d’Immobel Luxembourg), Jacques Brauch (directeur général de Soludec), Marc Giorgetti (gérant de Félix Giorgetti), Antoine Paccoud (research scientist au Liser) et Max Leners ; Brochure « Urgence Logement » publiée par la FONDATION ROBERT KRIEPS en janvier 2020 avec 13 articles sur la problématique du logement au Luxembourg ; Recueil « La politique du logement : Entre bons motifs et gros montants ! » publié par la FONDATION IDEA en juin 2022 ; Note « Logement » publié par la Chambre des Salariés Luxembourg en date du 25 février 2020 ; « Le Luxembourg en 2050 : De l’aménagement au ménagement du territoire », Pascale JUNCKER, 2020.